Installé sur sa terrasse, Alain Rézard de Wouves contemple la Baie du François et semble y voir s’élancer ces rapides et élégantes barques de pêche, leurs voilures claquant au vent, les Yoles Martiniquaises. Sa passion depuis tant d’années. Attaché depuis plusieurs générations à cette île, il en connaît tout le passé et a même retracé toute l’histoire de sa famille. Incollable sur quantité de sujets, il n’en reste pas moins que la yole reste son préféré. A cela une explication : Alain fut l’un des pionniers qui ont permis à cette embarcation emblématique de Martinique de compter dans les manifestations sportives de haut niveau, d’entrer au Patrimoine Immatériel de la France et, récemment, de se voir décerner les lettres de noblesse suprêmes avec son inscription au Patrimoine Immatériel de l’Unesco.
Du Gommier à la Yole ronde Martiniquaise
Et Alain de remonter les siècles pour raconter l’évolution de cette pirogue construite dans un tronc d’arbre, le gommier blanc, par les Amérindiens des Caraïbes. « Jusqu’à la guerre de 39-40, la construction de ces barques de pêche était semblable à celle que les Européens découvrirent lors de leur arrivée en 1635. A savoir, un tronc de gommier blanc de 5 à 7 mètres de long, entièrement fouillé à la main que l’on remplissait de sable chaud afin de permettre au bois de s’écarter et de lui donner la forme requise » Les gommiers blancs venaient principalement de La Dominique et de Sainte Lucie, îles britanniques qui connurent un blocus durant la dernière guerre mondiale.
« Devant la pénurie de ces troncs nécessaires à la construction des barques de pêche, les charpentiers marine de Martinique eurent l’idée de lancer une construction en planche et c’est ainsi que la Yole Ronde est née »
Le premier tour de Yole de Martinique en 1966
La Yole Ronde Martiniquaise bateau de pêche et de compétition
Pour faire naviguer cette barque de pêche, les quatre membres de l’équipage devaient être
athlétiques « imaginez ce voilier instable avec sa coque de 9,50 mètres, sa voile carrée d’environ 20m2, un bois dressé pour se mettre en rappel et une pagaie en guise de gouvernail. Une pagaie pour permettre à la yole de passer sur les hauts fonds et leurs 10 cm d’eau » C’est avec ce type d’embarcation qu’en 1966 Alain et ses amis vont se lancer un défi, celui de faire le tour de la Martinique. Une aventure jamais tentée. « Il faut expliquer que si ces yoles étaient utilisées par les pêcheurs en semaine, elle servaient souvent les week-end à disputer des régates entre propriétaires au François, au Robert, au Vauclin principalement. Progressivement, la yole s’affinait pour mieux répondre aux besoins de la compétition » Et c’est à bord de Boeing qu’Alain et son équipage se sont embarqués, suivi d’Etoile Filante, Frisson et Odyssée. « On allait à l’aventure. On devait doubler la presqu’île de la Caravelle. On espérait boucler le tour de la Martinique en 5 étapes. Mais notre épopée commencée en 1963, poursuivie en 1967, s’arrêta car les Affaires Maritimes n’autorisèrent pas la troisième édition pour des raisons de sécurité » Il faudra attendre 17 ans pour que Georges Brival s’intéresse à ce projet. Et en 1984, 10 yoles étaient sur la ligne de départ et l’événement n’a fait que monter en puissance jusqu’en 2020 où se type de manifestation ne put avoir lieu en raison de l’épidémie de Covid. « C’était un rassemblement de plus de 10 000 personnes qui accueillaient à leur arrivée une vingtaine de yoles» Des barques agrandies pouvant accueillir 14 membres d’équipage, rallongées à 10,50 mètres et une voilure de toutes couleurs de 80m2 contre les 18 à 25 m2 d’origine ! Un magnifique spectacle.
En 2006 Edouard Tinaugus entre en scène
Dorénavant, la yole ronde martiniquaise a gagné en célébrité. Elle a même été remarquée par Eric Tabarly. Chacune de ses sorties est attendue par un public attachée à ses valeurs. Elle aide à la renommée de la Martinique. Mais… un certain Edouard Tinaugus, originaire du Robert, passionné par l’histoire de la yole, décide qu’il faut aller plus loin et faire connaître ce patrimoine à travers le monde. Il rencontrera Alain Rézard de Wouves, l’un des deux survivants de la grande époque ainsi que beaucoup d’autres acteurs. Tous travailleront à un projet fou : faire inscrire la yole ronde de Martinique à l’Inventaire National du patrimoine culturel immatériel de France. Un projet parti d’un constat : l’histoire de la yole de Martinique est liée à la communauté martiniquaise et à l’histoire navale de la Martinique. Les démarches aboutiront en 2017. Une yole fera même la traversée de l’Atlantique, dans un container, pour être exposée au Salon Nautique à Paris. Dès lors, fort de cette réussite et de cette reconnaissance, le Comité de Pilotage, présidé par Edouard Tinaugus, vise l’inscription de la yole ronde au Patrimoine Immatériel de l’Unesco.
La yole ronde inscrite au Patrimoine Mondial de l’Unesco
Le 17 décembre 2020, la descendante des gommiers des Caraïbes, la yole ronde de Martinique entrait triomphalement dans les registres du Patrimoine Mondial Culturel Immatériel de l’Unesco.
Cette reconnaissance inouïe rejaillit sur toute la Martinique et pour Alain Rézard de Wouves qui va fêter ses 90 ans en août prochain, c’est un bonheur infini. Et la yole n’a pas fini de faire parler d’elle puisqu’elle est bien décidée, lorsque la situation sanitaire le permettra, de poursuivre l’événement « Les Barrés de la Yole » La première édition, en février 2020, remporta un tel succès avec à la barre des skippers de renoms, bretons pour beaucoup et une marraine de charme en la personne de Jacqueline Tabarly, que l’avenir de la yole ronde a encore de belles années devant elle. Et souhaitons à Alain, ce formidable pionnier, de pouvoir suivre durant encore plusieurs années ces événements auxquels il a su, avec ses amis, donner le coup d’envoi.
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